Interview du Pr. Vincent Probst : Sensibilisation autour de la mort subite du patient jeune

  1. Pourquoi devenir cardiologue ? 

Ce qui m’a attiré dans la cardiologie, était le côté mécanique. Nous comprenions réellement ce qu’il se passait et c’était une spécialisation où nous pouvions déjà agir grâce aux traitements qui existaient.

La cardiologie regorge de disciplines diverses et variées, mais dès le début, j’avais envie de faire de la rythmologie, qui est une spécialité de la cardiologie dédiée à la prise en charge des anomalies du rythme cardiaque.  C’est ce qui me semble, l’un des aspects les plus compliqués et où il y a le plus de réflexion. 

Par la suite cet intérêt a évolué vers les maladies héréditaires rythmologiques puisqu’elles regroupent les deux aspects qui définissent à mon sens ce qu’est un bon médecin  : 

  • la connaissance scientifique (dont la génétique) pour comprendre les pathologies,
  • et la capacité à l’expliquer au patient. 

Ainsi au-delà de l’aspect interventionnel, nous avons une partie psychologique et prise en charge des patients et familles qui est très importante et qui nécessite une capacité à expliquer quelque chose qui peut être de prime abord inexplicable et/ou incompréhensible. 

Donc c’est un domaine global qui réunit plusieurs facettes de façon équilibrée et qui demande de la pédagogie, de l’empathie et de la psychologie pour savoir ce que les patients et leurs familles peuvent entendre ou non car chaque consultation est unique.

Pour finir, je pourrais conclure sur le fait que, ce qui m’intéresse également est que nous partons du patient, pour y revenir

  • le patient est le sujet de recherche, 
  • le patient et sa famille sont les moyens de recherche, 
  • puis, ils représentent toutes les connaissances que nous avons et les améliorations que nous pouvons faire autant pour eux que pour nous.    
  1. Parlez-nous du Centre de Référence de Nantes, qui est celui dans lequel vous exercez. 
  • L’historique

L’institut du thorax de Nantes a été labellisé en 2004 dans la première partie du Plan National des Maladies Rares. 

Nous travaillions sur les pathologies à risque de mort subite et le fait d’être labellisés nous a donné des moyens d’avancer dans nos recherches.

Nos premiers objectifs étaient : 

  1. la prise en charge des patients et leurs familles atteints d’une pathologie (surtout les pathologies électriques cardiaques) à risque de mort subite,
  2. l’identification de nouveaux gènes,
  3. et en parallèle la stratification du risque.

En 2011, nous avons constaté que nous avions des morts subites qui n’étaient pas expliquées car il n’y avait pas de symptômes. Ainsi, rien n’était déclenché pour les familles et nous devenions spectateurs et non acteurs.

Pour palier à ce phénomène nous avons ouvert en 2012 un centre de prise en charge de la mort subite du sujet inexpliquée qui a permis de donner une réponse à une majorité des familles où il y a eu une mort subite inexpliquée, et d’être capable d’aller dépister le reste de la famille et de les prévenir des risques éventuels.

Progressivement un bilan systématique a été mis en place chez les apparentés du 1er degré d’une personne ayant eu une mort subite de moins de 45 ans, sans explications, et sans besoin de faire une autopsie. 

Nous avons publié il y a quatre ans nos résultats qui montraient des similitudes avec nos voisins anglais et hollandais qui étaient les précurseurs. Ainsi nous avons réussi à diagnostiquer 40% des cas où nous avons testé les deux parents. 

  • Les spécialisations 

Au fur et à mesure nous avons développé des spécialisations au sein du centre : 

  • la capacité à favoriser le dépistage familial grâce aux infirmier(e)s spécialisé(e)s.

Grâce à leur spécialisation, les infirmier(e)s constituent un élément clé du centre. Ils.elles sont autonomes au cours du dépistage et de la prise de contact avec les familles, et tissent ainsi un lien de confiance qui est très important pour nous. Cet aspect a permis de structurer la prise en charge clinique au quotidien.

  • l’approche de la famille au niveau de la recherche en identifiant les grandes familles. 

Pour la petite anecdote, il nous est arrivé d’investiguer tout un village porteur d’une maladie cardiaque, afin de découvrir l’ancêtre commun, qui était né en 1850 !

  • la stratification du risque du patient : 
  • L’aspect épidémiologique
  • Une base de données communes sur différentes pathologies tel le syndrome de Brugada,

le syndrome du QT Long, la tachycardie ventriculaire catécholergique, le bloc auriculoventriculaire familiaux et la dysplasie arythmogène du ventricule droit. 

Il faut noter que Nantes est le centre qui recense toutes les informations des patients dans la base de données BaMaCoeur. Cela a pour but d’alléger le travail des différents centres de compétences.

Et aujourd’hui nous sommes fiers de dire que nous avons la plus grande base de données mondiale sur le syndrome de Brugada (2300 contre 800 pour les autres pays).

  • La prise en charge du patient

  1. un prélèvement sanguin est réalisé chez tous les sujets de moins de 45 ans victime d’une mort subite inexpliquée.
  2. 15 jours après le décès, l’équipe du centre contacte les proches pour expliquer et mettre en place le dépistage familial. Les membres de la famille sont orientés vers le CHU de Nantes et son réseau de centres de compétence pour y suivre les examens diagnostiques pendant une demi-journée. 

Ce bilan qui vient d’être repris dans les recommandations américaines comprend : 

  • Une échographie, 
  • Une épreuve d’effort, 
  • Un test alajouanine, 
  • Un test d’adrénaline (se fait de moins en moins à cause de la complexité de l’analyse), 
  • Et une épreuve de stress mental

Nous avons découvert une nouvelle pathologie pour une certaine forme de mort subite liée au syndrome du QT long (publié il y a 2 ans) grâce à cette épreuve de stress mental réalisée au cours d’un électrocardiogramme.

  1. Parallèlement, le prélèvement sanguin effectué sur le patient décédé est séquencé : on analyse les quelques centaines de gènes impliqués dans la mort subite afin d’identifier la maladie ou le syndrome en cause.
  1. Qu’est-ce que la mort subite ?

Il faut savoir qu’elle engendre environ 50.000 décès par an chez les personnes entre 1 et 45 ans et devient donc la première cause de mortalité en France avant les accidents de la route. 
Malgré ces chiffres impressionnants, celle-ci est encore méconnue du grand public.

De plus, contrairement à ce que nous pouvons penser, elle peut être un arrêt cardiaque. 

Elle se définit par un trouble du rythme qui accélère les battements du cœur et l’empêche donc de mettre en place le mécanisme de pompage du sang, afin de se réguler. Cette anomalie déclenche un arrêt du cœur.
Ce qui signifie qu’il est complexe d’identifier la mort subite s’il n’y a pas d’analyse à réaliser, puisqu’elle peut être confondue avec un arrêt cardiaque, un accident vasculaire cérébral (AVC) ou une quelconque anomalie cardiaque.

  1. Quels sont vos objectifs et projets concernant la mort subite ?

Nous avons plusieurs objectifs :

  • La stratification : Nous avons la volonté d’améliorer la stratification du risque du patient.

C’est une approche qui couple les données cliniques, paracliniques et des données plus complètes en génétique afin de trouver la base commune pour pouvoir évaluer le risque de mort subite chez nos patients.

  • L’anticipation : Nous essayons de développer des outils informatiques d’Intelligence Artificielle, des outils d’analyse des électrocardiogrammes et des outils qui combinent les informations génétiques afin d’être capable de donner un pronostic individuel.
  • La sensibilisation auprès des professionnels : Comme vous avez pu le comprendre, la mort subite est peu connue. Ainsi nous souhaitons la mettre en lumière dans un premier temps auprès des médecins généralistes. Tout simplement car ils ne sont pas notre cible principale, qu’ils sont peu informés sur les maladies rares en général et qu’ils sont le premier lien avec le grand public. 

C’est pour cela que nous avons proposé un Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS) qui vient d’être accepté par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS). 

L’objectif est que les généralistes aient un document de référence qui reprend toutes nos recommandations en cas de mort subite inexpliquée.

Toujours dans l’idée de sensibiliser, nous souhaitons réaliser des vidéos courtes pour expliquer ce que font les centres de référence, de compétence et parler des différentes pathologies (prise en charge, définitions etc.). 

Tout cela serait un autre support à destination des médecins généralistes.